LE  TOUR DE  FRANCE



  1995, Tour de France mémorable pour Jacky Durand qui s'empare du maillot jaune dès le Prologue organisé à Saint-Brieuc.
 Dudu le rémouleur

C'est à Jacky Durand que la Société du Tour avait confié la reconnaissance du contre-la-montre de Vassivière. 
« Dudu » en a profité pour faire son apprentissage dans l'art d'affûter les couteaux, une vieille tradition locale. Et
pas sur n'importe quelle machine, sur un cadre ayant appartenu à Francis Pélissier.                    Vélo Magazine

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- Dudu le rémouleur

- Jacky, avec un J comme jaune

- Pendant le Tour

- La chute

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  avant...

après !

 

    Jacky, avec un J comme jaune

Et c'est R.T.L. qui l'annonce : le premier maillot jaune de 1996 est Jacky Durand !
 
Epargné par le violent orage qui faussa le prologue, le Mayennais est, contre toute attente, le premier leader du Tour. Encore un coup de chance... qu'il a su provoquer.
Pour les Côtes-d'Armor, qui espéraient faire du week-end un formidable tremplin touristique, ou pour Chris Boardman, l'orage portait la marque du diable. D'autres y ont vu la main de Dieu, en tous les cas un extraordinaire clin d'œil du destin, à commencer par Cyrille Guimard. Le manager de l'équipe Castorama avait le bourdon vendredi en confirmant la probable disparition de son équipe à la fin dès la saison, une annonce faite à Saint-Brieuc, là où, vingt-trois ans auparavant, il s'était emparé du Maillot Jaune aux dépens d'Eddy Merckx. L'endroit recèle probablement quelque sortilège car, dès le lendemain, l'un de ses meilleurs coureurs, Jacky Durand, enfila la même précieuse tunique, sans le vouloir, et même sans le savoir lorsqu'il passa la ligne d'arrivée, trois heures exactement avant Miguel Indurain. Pas une seule seconde, il ne s'était imaginé l'incroyable scénario qui allait enfiévrer une soirée de tempête. Le champion de France 1993 et 1994 en perdit même tous ses repères lorsqu’il expliqua qu'il s'était élancé “ tôt le rnatin “ (en réalité à... 18 h 37) pour ne pas rater ensuite une miette du match entre les grands: "J'ai eu le sentiment de faire un bon chrono, et, sur le coup, j'espérais faire dans les dix premiers du prologue, voire dans les cinq”.
De fait, après avoir bavardé avec quelques journalistes, il se replia dare-dare vers son hôtel d'Yffiniac, village breton resté célebre-autre coincidence-grâce à l'un de ses citoyens, devenu légende du Tour, Bernard Hinault. En revanche, une idée trottait déjà dans la tête du boss, habile techncien comme tout le monde le sait. “ Dans un contre-la-montre, je place toujours deux bons rouleurs parmi les premiers à partir de mon équipe, au cas où les conditions météorologiques changeraient, expliquait Guimard. Là, c'étaient Jacky Durand et Thierry Laurent. J’avais consulté la météo. Et, je suis Breton, ne l'oubliez pas... » Jacky Durand est aussi un homme de l’ouest, mais de Mayenne, et qui plus est exilé à Saint - Laurent - sur - Gore, en Limousin. Il ne connait pas très bien les caprices du ciel de Bretagne, et, allongé sur son lit, devant la télé, il vit certes alors le ciel tourner au cauchemar, mais sans entretenir d'illusion. Du moins jusqu'à 20 h 52. L'heure précise à laquelle Thierry Marie en termina à son tour, sous le déluge, dans un temps supérieur de dix-huit secondes à celui de son coéquipier... "Là, j'ai commencé à y croire, raconte Jacky Durand. Ce prologue était fait pour Thierry, qui sait admirablement virer sur le mouillé. Un tel écart entre nous situait partaitement les difficultés causées par la pluie. Là, mon coeur s'est mis à battre plus vite. Je me doutais bien que les Indurain, Rominger ou Berzin ne prendraient aucun risque. Seul Chris Boardman en a pris, et cela malheureusement lui coûte trop cher…" Rapatrié d'urgence d’ Yffiniac à Saint-Brieuc pour être prêt au cas où, Jacky Durand eut du reste cet aveu chevaleresque, en direct sur France 2 : "Franchement, j'aurais préféré être battu par Chris plutôt que d' assister à cet accident ." Ce garçon a le coeur sur la main et il s'empressa plus tard de dédier sa performance à la mémoire d'un jeune coureur amateur, Christophe Marchis décédé accidentellement vendredi aux Andelys, lors du Tour de l'Eure…
Jacky Durand est généreux, dans tous les sens du terme. Et, parfois généreux rime avec chanceux. Il y a un mois, "Dudu " est échappé dans l'étape du mont Saint Clair au Midi Libre. Derrière, Laurent Jalabert voltige. Un passage à niveaux se ferme pendant six minutes devant le numéro un français. A Sète, Durand peut lever haut les bras. Samedi, le complice a changé. Ce n'est plus la SNCF mais la météo. De la chance ? Bien sûr ! Mais, la chance, il faut toujours aller la chercher, la provoquer. Elémentaire,  mon cher Jacky...
En 1992, Durand est même allé cherché une classique mythique : le Tour des Flandres, qui échappait à un Français depuis trente six ans ! Puis il a été sacré champion de France les deux années suivantes, à Châtellerault et à Fontenay-le-Comte. Ce maillot tricolore, avec lequel il enleva une étape du Tour il y a un an (à Cahors, il l'a lâché l'autre dimanche au profit d'Eddy Seigneur, mais, finalement, en vingt-quatre mois, Jacky Durand n'aura porté la tenue Castorama que pendant neuf minutes pile. Son temps dans le prologue de Saint-Brieuc. Où, cette fois, il a poussé le vertige encore plus loin. Car le volià maintenant en jaune ! Inoui, n'est-ce pas... ?
Jacky Durand a donc l’un des plus beau palmarès français actuel. “ Il ne me manque finalement que Paris Roubaix, la dernière course qui me fascine et que je n'ai pas encore pu gagner, dit-il. Dès que je l'aurais fait, je pourrais songer à la retraite... “
Il s'en délecte d'avance. Pour l'heure, il entend prolonger son rêve le plus longtemps et le plus loin possible. Et pourquoi pas au-delà d'Alençon, terme demain du contre-la-montre par équipes, un exercice où les Casto ont de vraies références et désormais de furieuses envies ? Hier soir, à Lannion, le Maillot Jaune toujours accroché aux épaules pour deux petites secondes, Jacky Durand respirait. Une victoire de Laurent Jalabert et il aurait été détrôné pour une seconde. “ J’ai tenté de faire les bonifications intermédiaires mais je n’y suis pas parvenu, “ expliquait - il. L’essentiel était cependant d’empêcher mes concurrents directs de les obtenir. J'ai eu un peu peur quand j’ai vu Brochard sortir pour la dernière bonif. Heureusement, il n’a pris que deux secondes ! C’est un pote Laurent mais  j’aurais été triste de de lui laisser ma place…” Dès aujourd’hui Jacky Durand sera encore sous le feu d’une petite dizaine d'adversaires embusqués à moins de trente secondes. Dont bien sûr Laurent Jalabert, certainement le plus dangereux à court terme. 
                                                                                                                                             L'Equipe, 3/07/95       G

Le jaune lui va si bien...
                  Le Parisien, 3/07/95         G
 
 En jaune sur la côte de granit rose
Durand l’imprévisible a encore frappé. Jacky Durand a traversé la Côte de Granit Rose en jaune. Un maillot qu'il a endossé samedi soir à Saint-Brieuc à l’issue d’un prologue dramatique. Le Mayennais est friand des “bons coups”. Profitant évidemment des circonstances et des aleas atmosphériques. Hier il a crânement défendu sa tunique. Mais les bonifications auraient pu lui jouer un mauvais tour.
Sacré Jacky Durand ! C'est vrai qu'il n'avait jamais envisagé de s'imposer dans ce prologue du Tour. Même si c'est un honnête spécialiste de ce genre d'exercice. Il termina 6e d'un prologue du Giro, et à la seconde place, il y a deux ans, dans 
une autre épreuve de ce type sur le Dauphiné Libéré. « C'est vrai. Il n'y avait rien de prémédité. J'avais prévu de partir dans les premiers et ensuite de regarder les ténors devant le petit écran, contortablement installé dans mon hôtel. Je me demandais même si la pluie et l'orage qui grondait sur Saint - Brieuc serait suffisant pour conserver la première place. J’ai vraiment commencé à y croire en apprenant le temps de Thierry Marie, et ensuite le dramatique accident de Chris Boardman et dès lors j’ai vite compris que les meilleurs ne prendraient plus le moindre risque. Décidément ce Jacky Durand est un personnage imprévisible. Ce qui le rend d’ailleurs éminemment sympathique. Le Mayennais de Ballots, qui réside désormais dans la Haute Vienne est doté d'un fort tempérament. Il  sent parfaitement les coups. Évidemment sa plus grande victoire reste ce Tour des Flandres qu'il avait enlevé, à la surprise générale en1992. Deux titres de champion de France sur route ont suivi, avec en prime une convaincante victoire d'étape dans le Tour, l'an passé à Cahors…Cette équipe Castorama, dont le chef de file reste Armand De Las Cuevas, a somme toute passé une confortable journée hier. C'est Jean-René Bernaudeau, l'un des directeurs sportifs de cette formation qui l'affirme :  "C'est une excellente journée pour nous. Nous avons seulement imprimé un faux train quand Dekker est parti. Cette tunique jaune est un gros bonus pour nous. Mais l’objectif prioritaire consiste à travailler pour Armand de las Cuevas. Bien sûr que tout cela s’est joué pour quelques secondes. Si Jalabert l’emporte, il prend le maillot. Enfin, ce n’est pas le cas. Et c’est très bien ainsi. Et puis aujourd’hui nous avons eu la preuve que nos garçons étaient plus à l’aise pour faire la course que pour la subir. Ce n’est d’ailleurs pas forcément plus dur."   
Jacky Durand est aujourd'hui un parfait capitaine de route. Il ne choisit pas forcément ses objectifs. Mais il sait à merveille s'adapter aux circonstances. En clair, il force la réussite. Aujourd'hui, il va arriver en jaune à Vitré, à quelques encablures de son terroir de Ballots. Jacky n’a pas la moindre pression ses épaules, répète Jean-René Bernaudeau. D'ailleurs, si d'aventure il perdait son maillot à Vitré, rien ne dit que dans le contre-la-montre par équipes du lendemain, la réussite ne soit pas au rendez-vous. » C’est tout le mal que l'on souhaite à ce truculent personnage, boute-en-train hors pair et parfait gentleman dans le peloton professionnel. 
                                                                                                                                                                                         Ouest France                     G

 

Le visage couvert d'une fine pellicule de boue, Jacky Durand se fend d'un large sourire. Il touche avec fierté ce maillot jaune qu'il porte pour la première fois, à vingt-huit ans. « J’aimerais bien quand même le garder jusqu'au contre-la-montre par équipes de mardi. Je suis de la Mayenne et je vais passer tout près de chez moi » Malgré un temps épouvantable depuis samedi, le soleil brille pour Durand et les Castorama. Maillot jaune, maillot du meilleur grimpeur pour François Simon, casquettes jaunes du classement par équipes. Pas mal pour une formation qus va disparaître à la fin de la saison.
Il faut voir derrière cette réussite opportune la patte de Cyrille Guimard, l'ancien sprinter nantais qui se veut breton. « Pour le prologue, ça faisait deux jours que j'étais inquiet pour le temps. Et ça n'est pas un hasard si j'ai fait partir Durand parmi les premiers. J’ai failli tenter le même pari avec Thierry Marie »
Hier, Guimard et ses boys ont su déjouer les pièges de la première étape courue sous la pluie, entre Dinan et Lannion. Ils ne se sont jamais affolés quand le Néerlandais Eric Dekker (Novell) a compté près de deux minutes d'avance à 45 kilomètres de 1'arrivée. La fin a été plus difficile. Nous avons travaillé intelligemment, estime Cyrille Guimard. On a improvisé, on a fait comme on a pu, tempère Marie. Bien contents d’avoir gardé le maillot. C’est vrai que les Casto ont eu chaud. En fait c’est Fabio Baldato, coéquipier de Giani Bugno, qui leur a sauvé la mise en venant déborder in extremis Jalabert, au terme d’un sprint en montée des hommes forts.           

Le ParisienG

  LeTrégor
La pluie a crispé le week-end breton, faussé le prologue de Saint Brieuc, mais donné un fameux coup de pouce au destin de Jacky Durand, toujours en jaune malgré… Jalabert. Mais Chris Boardman, trop téméraire, a tout perdu en trois minutes.
Qu’il était sympa, ce podium de Saint-Brieuc, samedi à la nuit tombée, quand Jacky Durand... encourageait le public d'un magnifique geste du bras pour lui demander de hausser encore d'un ton son beau moment de bonheur. Le Mayennais s'était présenté trois fois à la foule, pour le bouquet du vainqueur du prologue, pour le maillot vert, pour endosser enfin le Maillot Jaune, puisque ce coureur-là ne porte jamais celui de Castorama : trois fois en deux ans, à Fonteney-le-Comte en juin 1994 pour y conserver le maillot tricolore conquis l'année précédente à Châtellerault; au lac de Saint-Point voici huit jours, et samedi soir, mais bien avant le  « prime-time », l'espace de 7 300 mètres... Sur le podium, Jacky Durand s’était présenté deux fois en survêtement, il avait passé le maillot vert par dessus, mais pour le jaune, ah ! Pour le jaune, il avait tombé la veste afin que celui-là ne fasse pas un pli ! Que c'était beau, le bonheur, à lire sur le visage de Jacky Durand, presque le dernier bonheur qui lui manquait dans le vélo, mais qu'elle était triste cette autre image, à l'heure de grande écoute pour la France de la télé, quand la voiture de Roger Legeay tournait au ralenti sur le circuit de Saint-Brieuc, comme une Formule 1 en panne qui s'en revient aux stands.
Seulement là, ce n'était pas la mécanique qui était cassée, c'était la cheville de Chris Boardman, son moral, ses illusions entretenues pendant des heures et des heures de travail depuis l'hiver dernier avec le rêve de passer les montagnes. Chris Boardman ne les verra pas encore cette année, les montagnes. Son Tour de France a duré environ trois minutes. Samedi soir, les cordes qui tombaient
n'avaient en rien refroidi la détermination de l'ancien recordman de l'heure mais le coup, cette fois, n'était pas jouable. Jacky Durand, qui s'était élancé à 18 h 37 détenait toujours le meilleur chrono, en neuf minutes toutes rondes, et l'on comprit très vite qu'il resterait le meilleur jusqu'au bout. Il était précisément 19 h 12 lorsque les premières gouttes tombèrent. Thierry Marie, le meilleur de tous sous la pluie (devant Mauri, Zulle, le Suisse ayant pourtant chuté lui aussi, et Jalabert), avait rendu dix-neuf secondes au temps réalisé par son pote Dudu , autant dire que personne ne ferait mieux que l'ancien champion de France.
Jacky Durand maillot jaune, après tout c’est à croire que le destin sourit à ceux qui savent le provoquer. Et ce n’est pas un hasard non plus si Cyrille Guimard pouvait sourire de son astuce habituelle qui consiste à placer un ou deux bons spécialistes, Durand et Laurent en l’occurrence, parmi les premiers partants (chez Gan on avait mis Lance et Moreau, 3° derrière les deux Casto), à plus forte raison samedi puisque la météo annonçait des orages en soirée! Si au moins ce joli coup pouvait attirer l’attention d’un décideur qui aurait passé son samedi soir devant la télé, car l’équipe de Guimard, qui disparaît au 31 août, comme il faut malheureusement s’y attendre, ça ferait l’effet d’une catastrophe naturelle dans le paysage du cyclisme français !
Mais on n’en avait pas fini ni avec la pluie ni avec le risque. L'étape du littoral, en un dimanche de ciel bas, fut sans doute moins engagée physiquement qu’elle ne l’est habituellement, mais ça glissait encore et l’équipe Lampre dont le sprinter Jan Svorada et le grimpeur Roberto Contl ont fini atardés, risque de s'en souvenir. C'est pour d'autres raisons que Jacky Durand a eu chaud ! C'est que Laurent Jalabert a bien failli lui piquer son maillot, un an tout juste après sa terrible « gamelle », puisque le vainqueur de Milan San Remo, déjà audacieux dans le prologue avait récupéré au passage six secondes de bonifications (il revenait ainsi 19") devant le radôme de Pleumeur-Bodou, et qu'il ne lui restait plus qu'à... gagner l'étape et les vingt secondes de bonification pour s'emparer du Maillot Jaune d'une seconde  ! Il  n'eut pas ce plaisir, car cette dure arrivée, quinze cents mètres d'une montée qui pesa lourd dans les pattes avec cette flotte, c'était l'endroit rêvé pour Fabio Baldato, le meilleur du monde (même Cipollini le reconnait) dans ce genre d'arrivée. Pour « Jaja » c'est sans doute partie remise à... aujourd hui. Où elle finira bien par avoir raison, non cette banderole qui proclamait qu'« il ne pleut pas tout le temps en Bretagne »?
                                                                                                                                                                          L'Equipe    G

 
Jacky Durand a enfilé le maillot jaune du Tour de France, samedi soir, à Saint-Brieuc. De nombreux supporters avaient fait la route depuis la Mayenne pour soutenir leur poulain. Y compris Colette, la maman du champion. Ambiance de fête. « On est heureux, c'est le bonheur... '' Samedi soir, les supporters de Jacky Durand laissent éclater leur joie. L'enfant de Ballots, en Mayenne, a décroché le maillot jaune en faisant le meilleur temps du prologue. Alors que les trombes d'eau continuent à arroser Saint-Brieuc, le podium attend les vainqueurs pour la remise des prix. Massés derrière les barrières, ils sont une cinquantaine à s'être déplacés depuis la Mayenne pour encourager le champion de leur cœur. “On a pris la route ce matin, pour ne rien rater du prologue, explique un des supporters, une casquette visée sur la tête. La semaine dernière, on était à Pontarlier. '' 
Colette Durand, la mère du vainqueur, fait aussi partie du groupe. Fière de son fils, elle arbore un grand sourire. Jacky vient de recevoir son maillot sous les feux des projecteurs des télévisions. C'est l'explosion de joie dans le public. Le club des supporters sort les banderoles, fait mugir les cornes de brume : “Jacky ! Jacky ! Jacky ! Le champion descend du podium puis s'engouffre dans une caravane. Aussitôt, le groupe se rue vers les hautes barrières métalliques. Les hommes de la sécurité veillent. “Laissez-nous le voir, juste pour une photo” insistent les supporters. La grille s'ouvre pour Colette. Elle porte un beau bouquet de fleurs rouges. “0n l'a trouvé au dernier moment”. Jacky Durand apparait enfin. C'est le délire dans la foule. Une bise à sa mère, un signe au public et il disparait dans une voiture. La première étape l'attend déjà.
                                                                                                                                                 Ouest France   G
 
 

Le Télégramme
Le Télégramme

 


 

Pendant le Tour
 
 
Les Castorama ne rendent pas les armes. Le maillot jaune est perdu, mais la bataille est loin d'être terminé. S'il leur reste une chance, si petite soit-elle, ils sauront la saisir. Aujourd'hui ? Assis, sur le macadam, quelques hectomètres après la ligne d'arrivée, Jacky Durand racontait sa journée. Sans amertume, pas même, du moins ne l'avouait-il pas, celle d'avoir rendu le maillot jaune aux portes de la Mayenne qui lui est chère. « Il faut se rendre aux évidences. Laurent Jalabert et son équipe ont fait un coup de force et nous n'étions pas de taille. Ce sera peut-être pour une autre fois. Deux jours en jaune, c'est malgré tout une aventure extraordinaire. J'ai joué... j'ai perdu . Chapeau Jalabert ! C'est tout ! » Non loin de là, le Tarnais exultait mais reconnaissait que la journée avait été rude « Ce Durand, quel guerrier ! Je l'ai vu attaquer et je dois avouer que j'ai subitement flashé. Il m'a fait peur. Nous avons réagi à temps car son coup était finement joué. Le Mayennais expliquait alors son essai. « Je pensais à l'arrivée et j'ai senti que le moment était propice. Un carrefour. Je l'ai pris côté contraire. Il eût fallu, en cet instant, que d'autres coureurs, une dizaine, fasse comme moi. Le coup était jouable... Hélas la bande à Jaja veillait. »
Plus qu'un échange de politesse, des paroles d'hommes décidés à vaincre et à se battre. A tout faire, prêts dans leur tête et physiquement au point. Au vrai, Jacky Durand n'est pas du genre à se soumettre et il dit fortement son intention de remettre l'ouvrage sur le métier. Par homme interposé. "Dans le contre-la-montre par équipes, il ne sera pas question de partir battu. Les Once sont favoris, certes, mais nous disposons de bons atouts. Des rouleurs capables de propulser Bruno Thibout sur le trône. Pas question de capituler." Laurent Madouas a suivi la scène, nous lance un clin d'oeil complice et s'en va avec un air satisfait qui en dit long sur ses intentions. Elles rejoignent tout à fait celles de son copain Dudu.
Silence, on tourne. Sur la route de Mayenne à Alençon, le match Casto-Once sera intense ! 
                                                                                                                                           Ouest-France 4/07/95         G

Sur les routes de la Mayenne
   G
 
 
 
 
 François Simon et Emmanuel Magnien doivent une fière chandelle : Jacky Durand qui les a sauvés de l'élimination.  Assurément un grand capitaine de route, le Mayennais.
Les jours se suivent et se ressemblent malheureusement pour François Simon et Emmanuel Magnien. Hier encore, les deux coureurs n'ont pu suivre le rythme du peloton. Mais il est probable que sans l'admirable dévouement de leur capitaine de route Jacky Durand, les deux hommes auraient été éliminés. C'est en effet sans la moindre consigne de ses directeurs sportifs que le Mayennais prit le parti de se laisser "décrocher", afin de tout tenter pour ramener ses deux copains dans les délais au Havre. 
'' Je me suis souvenu, reconnut le vainqueur du prologue de Saint-Brieuc, que François et Emmanuel rn'avaient permis de conserver mon maillot jaune un jour de plus sur les routes des Côtes d'Armor. Il était logique de renvoyer l'ascenseur. J'ai effectué 70 kilomètres contre la montre, à 45 à l'heure. Comme j'avais de bonnes jambes, je n'ai pas eu besoin de puiser exagérément dans mes réserves. En tout cas, François conserve son maillot à pois. Malheureusement, on se demande si le geste, au demeurant exemplaire, de Jacky Durand sera suivi d'effets. En effet si François Simon pourrait retrouver rapidement l'intégralité de ses moyens (on n'oubliera le remarquable Giro du dernier des Simon), il y a lieu d'être beaucoup plus mesuré en ce qui concerne Magnien « Conserver le maillot du meilleur grimpeur était la meilleure des choses qui pouvait arriver à François. Il a retrouvé la santé et je suis sûr qu'on tient le bon bout. Le problème, ajoute Jean- René Bernaudeau, c'est Emmanuel Magnien qui n'est vraiment pas bien actuellement. » Entre temps, Bruno Thibout, le haut-hormand avait raflé une coquette prime de 30 000 francs sur le superbe pont de Normandie. " Je n'ai jamais réellement pensé à la victoire d'étape. D'autant que l'écart s'est rapidement stabilisé au niveau des 30 secondes. Cette tentative n'était nullement préméditée même si j'arrivais près de chez moi. " Les miettes finalement pour les Français, en dépit des 3e et 4e places de Moncassin et de Laurent, encore un autre Castorama .
                                                                                                                                                            G
 


 

 La chute
 
 
 
      Durand son rêve Jacky chute

Il avait sauté de son nuage en jaune mais il songeait encore au succès sur les Champs-Elysées… Puis dans une descente de col, Jacky Durand est tombé. Récit d'un cauchemard éveillé…Le matin du drame, sous le soleil alpin d'Aime-La Plagne, Jacky Durand avait osé cette phrase, cette boutade de défi : « Aujourd'hui, par rapport à La Plagne, l'Alpe-d'Huez, c'est de la balade. »
La balade d'un homme radieux, qui avait sourit en Jaune, portant ce maillot d'or les deux premiers jours du Tour de France, puis qui, malgré quelques soucis, dont une chute en première semaine à l'orée d'une arrivée, avait gardé le moral au beau. Même les 160 km de montagne de mardi ne l'avaient pas franchement affecté, même s'il avait jonglé avec les délais. « On a fait beaucoup de travail à deux, avec Dante Rezze, Moncassin nous avait lâchés dans une descente et s'était scratché, relatait calmement Jacky, très serein. Depuis une semaine, je suis tombé de mon nuage. Je savais que j'allais en découdre, que j'allais en ch... avec la montagne. » Il remercie au passage un supporter qui lui indique qu'il l'avait poussé dans la montée. Il rigole : « On leur dit qu'il ne faut pas mais ils insistent tellement... On ne peut pas leur refuser. » On lui susurre que l'abandon pourrait survenir en cas de jour sans. Il réfute l'éventualité.« Moi, l'abandon, je n'y songe pas. Tant qu’on a un soupçon de force, on se bat Je n'ai pas envie de connaître de nouveau dans le Tour cette douleur-là. J'irai encore à l'arrivée.. Au courage... “ Quand on a foulé un jour les Champs-Elysées,on met tout son cœur pour y retourner ”.

Durand évacue ainsi la part des tourments en connaisseur. « Les cyclistes, on est un peu  barjots, on va au delà de nos limites s’il le faut, c’est un effort inconscient. Jusqu’au pied des cols, on s'entraide, après on se comprend. C'est chacun pour soi, c'est sauve qui peut ! » Mais le premier col de cette journée d’hier, la Madeleine, va d'un seul coup tout faire basculer. Les espoirs, les envies et les lubies. Dans la descente, Jacky Durand chute, se brûle le corps, s'entaille le cuir chevelu. Il est rapé, sonné, allongé si longtemps à plat si longtemps sans pouvoir se relever qu’il prend peur. Vision floue : « Je descends à 80 km/h et je dois prendre un silex. Je déjante de l'arrière, je pars en vrille. Je tombe et reste au sol. Ca dure une éternité pour moi…Je ne sais plus où je suis. Je suis tétanisé de partout. »
Il ne porte pas de protection et vient de passer tout près du drame, du chaos définitif. « Je ne supporte pas le casque quand il fait chaud…Les mains, c’est pratiquement les  seules choses que je peux encore bouger normalement » Mais il en faut plus pour qu'il quitte l’épreuve, pour qu'il s'en aille, malgré des monceaux de douleur. Alors, il renfourche sa machine de combat. Et se bat. Dans son for intérieur, il le sait, il le clame : « Ma victoire, c'est de pouvoir rentrer dans les délais, quitte à faire un contre-la-montre à moi tout seul. » La beauté du site il l'oublie, il la chasse. « Je ne vois rien, sinon des lacets, encore des lacets, des virages et des pentes.» Il se raccroche aux encouragements, A.tous ces gens qui le portent, qui le touchent. «Avant, les gens me reconnaissaient parce que j'étais en bleu-blanc-rouge puis en jaune. Je ne savais pas s'ils acclamaient le coureur ou le maillot. Maintenant, avec seulement le bleu de Casto sur le dos, je mesure que je suis populaire. » La part du rêve se mêle au cauchemar. Il y a onze jours, au soir de son prologue victorieux grâce à la clémence des cieux, il s'épanchait : « Voilà un joli coup du destin, le dieu du vélo m'a aidé. C'est un jour rêvé. » Hier midi encore, il se voyait en haut de l’affiche par la suite, une fois cette satanée montagne passée...« Je me vois bien gagner sur les Champs-Elysées… Ça peut paraître un nouveau rêve mais tout ce que j'ai rêvé dans le vélo, je l'ai eu. Je m 'habitue à rentrer dans les histoires... » Tout cela l'amène finalement à poursuivre sa route malgré ses plaies, malgré le mal.  « C'est l'instinct. Avec l'euphorie, après la chute, j'ai redoublé des coureurs... Puis, petit à petit, mes forces ont baissé, le moral aussi. Je savais que j'étais très loin et j'ai capitulé. »
Il ne verra donc pas Paris comme les huit autres coureurs qui avaient abandonné eux aussi avant l'Alpe-d'Huez. Mais il avait été où il voulait. Au bout de lui, au bout de cette si forte envie, celle de Jacky...
                                                                                                                                                                                                             L'Equipe, 12/07/95    G
 
 
 


 

Après l'abandon
 
 
Jacky Durand souffre toujours mais repense encore souvent à son début de Tour en Maillot Jaune.

Durand ne dort pas la nuit. Le Mayennais qui habite dans le Limousin, la région de sa femme, a quitté le Tour le 12 juillet (10° étape) après avoir été victime d'une chute à 80 km/h dans la descente du col de la Madeleine. Il gisait sur la chaussée, puis il est remonté sur son vélo. Un miracle, car il en existe aussi dans le cyclisme... Lorsqu'il a décroché le téléphone, Durand était en train de pédaler. « Je suis sur mon home-trainer. Je vais en faire pendant une demi-heure, racontait-il. J'ai un trait de fracture du scaphoïde, je suis courbaturé, je dors mal parce qu'il n'existe pas de position idéale dans le lit : j'ai mal aux deux hanches, aux chevilles, aux genoux, aux coudes et dans le dos et j'ai des points de suture derrière la tête. Non vraiment, si après l'accident on m 'avait accordé deux jours dans ce Tour je serais passé à la trappe dès le troisième jour...», plaisante-t-il. En attendant de gagner Paris pour faire la fête avec tous les coureurs de l’équipe Castorama - y compris ceux qui n'étaient pas sélectionnés -, Dudu ne rate rien du Tour. « Le matin, je visionne les cassettes des dix premiers jours et je lis toute la presse, l'après-midi, je regarde les images de l'étape. »

       L'Equipe           G

 

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